Neuroimagerie de la spécialisation hémisphérique

Quelles relations avec le fonctionnement cognitif ?

La spécialisation hémisphérique (SH) est la relation entre une fonction cognitive et un ensemble de structures cérébrales d’un hémisphère donné. La SH comprend à la fois l’hébergement de réseaux spécialisés qui ont des propriétés fonctionnelles uniques et les mécanismes qui permettent la coordination inter-hémisphérique nécessaire à un traitement cognitif efficace. Les connaissances acquises grâce aux observations de patients porteurs de lésions cérébrales depuis celles de Broca en 1860 ont montré que la particularité de la SH de l’Homme est qu’elle est peu variable : chez plus de 90% des êtres humains, le langage est piloté par l’hémisphère gauche et l’attention visuo-spatiale par l’hémisphère droit par exemple. Les études de personnes souffrant de maladies développementales à l’origine d’anomalies du langage comme les dysphasies ou les dyslexies ont montré que ces sujets étaient moins asymétriques au niveau cérébral. C’est également le cas dans certaines psychoses comme la schizophrénie. Mais l’origine et les facteurs restent mal connus en partie du fait de sa faible variabilité.

Thématiques

  1. Langage : N. Tzourio-Mazoyer (contact), F. Crivello, I. Hesling, G. Jobard, M. Joliot, L. Labache, B. Mazoyer
  2. Attention : L. Zago (contact), N. Tzourio-Mazoyer

Comment l’organisation cérébrale hémisphérique des fonctions cognitives se met-elle en place ? D’où vient que certaines personnes abritent de façon atypique le langage dans leur hémisphère droit ? La latéralisation hémisphérique est-elle nécessaire à un fonctionnement cérébral et cognitif optimal ? Si oui pour quelles fonctions ? Les sujets atypiques le sont-ils pour une fonction donnée ou bien leur organisation est-elle différente pour les différents réseaux latéralisés ? Les asymétries anatomiques sont-elles des marqueurs des asymétries fonctionnelles ? Peut-on déterminer de manière non-invasive la latéralisation pour le langage d’un individu ? Les individus atypiques ont-ils des particularités génétiques qui expliquent leur changement de latéralisation ?

Pour répondre à ces questions nous combinons la neuroimagerie anatomique, fonctionnelle, les mesures de connectivité, les données comportementales, le génotypage et les bases de données.

Pour mettre en relation la variabilité de la latéralisation cérébrale des réseaux cognitifs, les données démographiques comme l’âge et le sexe, les différences comportementales comme la préférence manuelle, ou les compétences cognitives dans les domaines verbaux, attentionnels et numériques, nous avons acquis une base de données dédiée à l’étude de la SH : la BIL&GIN.

La BIL&GIN a été spécialement conçue pour étudier la question des règles d’organisation de la SH en augmentant la variabilité individuelle par l’équilibrage de l’échantillon étudié en gauchers et droitiers. En effet alors qu’il y a environ 20% de gauchers dans la population générale nous avons recruté 50% de gauchers dans la BIL&GIN. Ce critère d’inclusion en font une base de données unique au monde. Nous avons choisi des procédures d’acquisitions anatomiques et fonctionnelles adaptées à la question posée. Pour chaque témoin, nous avons effectué en IRMf une batterie de tâches cognitives explorant des fonctions cognitives latéralisées (langage, attention, motricité, imagerie mentale et calcul), ainsi que des batteries de tests comportementaux visant à caractériser les compétences cognitives (verbales, visuo-spatiales et numériques) dans le but de fournir pour la première fois des informations sur les relations entre la latéralisation des différentes fonctions, la latéralisation comportementale, les capacités cognitives, l’organisation anatomique et les asymétries de la matière grise et blanche, et les réseaux du repos chez les mêmes participants.

Une cartographie des gènes a également été réalisée pour chaque individu à partir d’un prélèvement de salive, complétée par un séquençage complet du génome pour les individus présentant une latéralisation atypique pour le langage ainsi que pour les individus typiques servant de contrôles.

BIL&GIN

Ce schéma des données de la BIL&GIN montre comment celle-ci permet d’analyser les multiples relations entre les éléments saillants de la SH que sont les caractéristiques anatomiques hémisphériques, la connectivité anatomique, la connectivité au repos (ou connectivité intrinsèque), les asymétries fonctionnelles mesurées avec l’Imagerie par Résonance Fonctionnelle (IRMf) pendant une batterie de tâches cognitives explorant des fonctions cognitives latéralisées, les asymétries comportementales et les compétences cognitives des participants. L’échantillon a été délibérément enrichi en gauchers de façon à obtenir la puissance statistique nécessaire pour explorer la variabilité inter-individuelle. L’échantillon de salive recueilli chez chaque participant permet de contribuer aux études sur la génétique de la latéralisation ainsi qu’aux projets des consortia de neuroimagerie génétique.

Un exemple de recherche que nous poursuivons consiste à comprendre quelles sont les relations cérébrales qu’entretiennent trois principales fonctions cognitives latéralisées que sont le langage, l’attention visuo-spatiale et le calcul complexe.

Par exemple, avec la BIL&GIN, nous avons les moyens de répondre à la question très débattue de savoir si, chez le même individu, le fait d’être latéralisé dans l’hémisphère gauche pour le langage est en lien avec le fait d’être latéralisé à droite pour les fonctions attentionnelles visuo-spatiales. Cette étude nous a permis de mettre en évidence que le lien entre la latéralisation cérébrale gauche pour le langage et la latéralisation droite pour l’attention visuo-spatiale est présent uniquement chez les gauchers très fortement latéralisés pour leur main dominante (Zago 2016).

Nous cherchons également à comprendre les liens qu’entretiennent le calcul et le langage. Comme tend à le suggérer l’observation de déficits conjoints de langage et de calcul après des lésions unilatérales gauches, nous pouvons, avec la BIL&GIN, tester l’hypothèse selon laquelle il serait nécessaire de « co-latéraliser » dans le même hémisphère le langage et le calcul complexe afin de permettre au langage interne d’étayer et de faciliter les processus de raisonnement arithmétique. Ainsi, avec les sujets de la BIL&GIN présentant un profil cérébral atypique pour le langage, nous testerons si ces sujets présentent également un profil atypique pour le calcul, c’est-à-dire s’ils sont co-latéralisés dans l’hémisphère droit.

Enfin, nous nous intéressons également à un phénomène particulier, que sont les biais attentionnels qui reflètent le fait que nous n’orientons pas notre attention dans l’environnement de manière homogène. Par exemple, cette caractéristique attentionnelle est illustrée par le biais de bissection qui consiste à barrer avec un crayon une ligne horizontale en son milieu. Ce biais se caractérise chez le témoin sain par une évaluation du milieu légèrement décalée vers la gauche. Avec la BIL&GIN, nous avons montré que ce biais comportemental est en lien avec la latéralisation hémisphérique droite (Zago et al. 2015) et pointé sur l’importance de régions temporo-pariétales et frontales inférieures droites à l’origine du biais de bissection (Zago et al. 2017).

Les recherches avec la BIL&GIN se poursuivent, certaines au sein du GIN-IMN, d’autres en collaborations avec des équipes internationales.

Pour ce qui concerne les bases génétiques de la latéralisation du langage, nous participons au du projet européen MULTI-LATERAL (Multi-level Integrative Analysis of Brain Lateralization for Language), coordonné par Clyde Francks (Max Planck Institute in Nijmegen, The Netherlands) Flag-Era (Fabrice Crivello, investigateur principal pour le GIN-IMN) sur la génétique de la latéralisation du langage.

Les données génétiques et de neuroimagerie de la BIL&GIN permettent également au GIN-IMN de participer aux études internationales de méta-analyses et de méta-databasing réalisés au sein de grands consortia internationaux de neuroimagerie génétique tels que CHARGE (coordonné par Sudha Seshadri, Boston University) et ENIGMA (coordonné par Paul Thompson, University of Southern California).

Les données de la BIL&GIN sont partagées avec la communauté internationale académique sur un mode collaboratif. De tels projets collaboratifs sont en cours avec Alan Evans (Montreal Neurological Institute), Daniele Marinazzo (Ghent University), et Michael Ewers (Munich University). Certains protocoles d’acquisition de données de la BIL&GIN ont par ailleurs été partagés avec Manuel Carreiras (BCBL, San Sebastian) et Dorothy Bishop (Oxford University).