Plutôt cerveau gauche ou cerveau droit ? Une nouvelle découverte de la latéralisation du cerveau

« Plutôt cerveau gauche ou cerveau droit ? ». Cette croyance répandue de la dominance d’un hémisphère sur la personnalité provient de la mauvaise interprétation de dizaines d’années de recherche montrant que la latéralisation des fonctions cérébrales est un principe fondamental de l’organisation de notre cerveau. Une étude conduite par Michel Thiebaut de Schotten à l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (Sorbonne Université/Inserm/CNRS/APHP) et publiée dans la revue Nature Communication, a produit la première carte de la latéralisation des fonctions cérébrales et met en évidence la dynamique des connexions entre les deux hémisphères du cerveau associée à celle-ci. 

La latéralisation des fonctions dans le cerveau est une question récurrente en neurosciences cognitives. Quelles sont celles plutôt gérées par l’hémisphère droit de notre cerveau ou par l’hémisphère gauche ? La mauvaise interprétation d’un tel mécanisme, pourtant essentiel à l’organisation du cerveau a malheureusement donné lieu à des expressions erronées tels que « cerveau gauche analytique » ou « cerveau droit créatif ».

Dès le XIXe siècle, les recherches de Paul Broca, dont les patients avaient développé un trouble du langage suite à une lésion spécifique de l’hémisphère gauche de leur cerveau, ont suggéré une latéralisation des fonctions cérébrales. De nombreuses recherches s’en sont suivies pour essayer d’identifier l’hémisphère « dominant » des différentes fonctions cérébrales, sans pour autant donner lieu à une investigation globale de cette latéralisation.

Michel Thiebaut de Schotten à l’ICM et ses collaborateurs, Slava Karolis et Maurizio Corbetta de l’université de Padoue en Italie, se sont donnés pour défi de cartographier la latéralisation des fonctions cérébrales. Pour cela, ils ont collectés les données de toutes les publications d’IRM fonctionnelle (disponible sur www.neurosynth.org), et sont parvenus à produire, pour la première fois, une carte globale de l’architecture fonctionnelle de la latéralisation des fonctions cognitives du cerveau.

« En explorant cet carte multidimensionnelle, nous avons mis en évidence que ces fonctions sont organisées comme un tétraèdre avec 4 pics représentant des fonctions extrêmement latéralisées : la communication symbolique (écrit, oral, langage…) très latéralisée à gauche ; la perception/action, plus à droite ; les émotions très latéralisées à droite également ; et enfin la prise de décision, qui serait plutôt dans le lobe frontal droit, ce qui a été une surprise, personne ne l’avait décrite avant ! » précise Michel Thiebaut de Schotten, conducteur de l’étude.

La mise en évidence de ces régions a également permis de se pencher sur la question des connexions entre l’hémisphère droit et gauche, indispensables à la communication et l’intégration des informations. Si certaines fonctions sont plus latéralisées à droite ou à gauche, que se passe-t-il au niveau de ces connexions ?

Les données obtenues jusqu’à présent ont donné lieu à deux grandes hypothèses. La première propose que plus les régions sont latéralisées, moins elles vont être connectées avec l’hémisphère non-dominant, pour traiter plus rapidement l’information et gagner en efficacité. La seconde, radicalement opposée, suggère que ces régions deviennent dominantes parce qu’elles utilisent leurs connexions avec l’hémisphère opposée pour l’inhiber. Plus elles sont dominantes plus elles inhibent l’autre hémisphère pour établir leur place dans le fonctionnement cérébral.

Grâce à leur carte nouvellement obtenue, les chercheurs ont pu montrer que plus les fonctions sont latéralisées, moins elles établissent de connexions avec l’hémisphère opposé, validant ainsi la première hypothèse. Cette découverte valide également l’idée, d’un point de vue évolutif, que les fonctions se seraient latéralisées avec l’augmentation de la taille du cerveau afin d’optimiser le temps de conduction de l’information, au dépend par exemple de la récupération fonctionnelle après une lésion cérébrale. La diminution des connexions entre les deux hémisphères, rendant plus difficile pour l’hémisphère non-endommagé de pallier aux fonctions perdues.

« De nombreuses pistes émergent de ces résultats. Sur la latéralisation des fonctions en elle-même, comme la prise de décision qui est une nouveauté, mais également sur les connexions de ces régions très latéralisées, non pas entre hémisphères mais au sein d’un même hémisphère. Ces régions très latéralisées vont aussi peu récupérer après une lésion cérébrale ce qui ouvre également de nouvelles voies de recherche dans le domaine des AVC par exemple.» conclut Michel Thiebaut de Schotten

Source

The architecture of functional lateralisation and its relationship to callosal connectivity in the human brain. Karolis VR, Corbetta M & Thiebaut de Schotten M. Nature Communication. March 2019 10.1038/s41467-019-09344-1

Dans les médias

2019 – Télématin science : https://www.france.tv/france-2/telematin/975355-emission-du-lundi-6-mai-2019.html (à 12’10 »)

2019 − Une cartographie complète des fonctions cérébrales. Science et avenir. https://www.sciencesetavenir.fr/sante/pourquoi-notre-cerveau-est-il-lateralise_132566

2019 − Une cartographie complète des fonctions cérébrales. La une de la Science, France Inter. https://www.franceinter.fr/emissions/la-une-de-la-science/la-une-de-la-science-01-avril-2019

2019 − La première cartographie complète de la latéralisation des fonctions cérébrales CQFD, RTS Radio-Television Suisse. https://www.rts.ch/play/radio/cqfd/audio/la-premiere-cartographie-complete-de-la-lateralisation-des-fonctions-cerebrales?id=10301063