Neuroimagerie de la cognition humaine intégrée

Les bases neurales de la cognition humaine sont étudiées dans leurs aspects les plus intégrés, tels que le vagabondage de la pensée et la méditation de pleine conscience, l’aptitude à inférer les émotions d’autrui ou encore l’émergence de la pensée symbolique. Pour cela nous utilisons 2 approches innovantes, l’analyse des « réseaux du repos » et la neuroarchéologie.

Comprendre la cognition intégrée
à partir de l’activité cérébrale au repos

Contacts

Les réseaux de la connectivité fonctionnelle intrinsèque, dits « réseaux du repos », correspondent à des ensembles de régions dont l’activité est synchrone alors qu’on laisse aller librement ses pensées. Ces réseaux du repos ne s’organisent pas de façon aléatoire, mais ressemblent fortement aux réseaux des fonctions cognitives existantes comme ceux de l’orientation de l’attention spatiale, du langage ou de l’action. Il est donc possible, sur la base d’une simple acquisition de données d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) d’une dizaine de minutes, d’identifier l’ensemble des réseaux cérébraux fonctionnels d’une personne alors même qu’elle ne réalise aucune tâche cognitive particulière.

Un premier objectif consiste à caractériser les modifications du « réseau de mode par défaut », et de ses relations avec les autres réseaux du repos, en fonction du contenu et de la forme des pensées (contenu affectif, mnésique, sous forme d’image, de langage…).

Au sein du large répertoire des fonctions cognitives, l’activité mentale opérant sur des représentations (images mentales sensorielles ou motrices, langage intérieur…) est singulièrement développée dans l’espèce humaine. Cette activité a pour particularité de s’affranchir des informations en provenance directe de l’environnement extérieur et de ne pas nécessairement aboutir à une action sur ce dernier. A la différence des autres espèces, l’être humain a la capacité de mettre en œuvre cette activité mentale sans qu’elle ne soit orientée vers un but. Ce « vagabondage de la pensée » allie une évocation et une contemplation des événements passés, sous forme d’images mentales ou de commentaires, à l’imagination et la planification d’événements futurs, qu’ils aient une chance de se produire ou non. Cet état psychique correspond à la moitié de notre activité mentale éveillée.

Les réseaux du repos sont directement modulés par la variabilité de la nature du vagabondage mental, en lien avec les compétences cognitives et émotionnelles de la personne. Au plan cérébral, le vagabondage de la pensée se traduit par l’activation d’un réseau de repos spécifique, nommé « réseau de mode par défaut ».

Les bases neurales du vagabondage mental sont étudiées à partir de la mesure par IRMf de l’activité cérébrale au repos. A l’aide d’un questionnaire informatisé développé dans le laboratoire, on collecte les pensées survenues au cours de cette période. On recueille ainsi la tonalité émotionnelle des pensées, leur nature prospective ou rétrospective, leur forme imagée ou verbale. L’analyse des données de neuroimagerie combinée à ces données qualitatives permet de mettre en relation le contenu mental et l’activité cérébrale au sein du « réseau de mode par défaut » et de mieux caractériser le rôle des différentes régions cérébrales qui le constituent.

Un deuxième objectif est d’étudier le lien entre la réduction de stress par un entraînement à la méditation de pleine conscience et les modifications des réseaux du repos.

La pleine conscience est définie comme le fait de prêter intentionnellement attention au moment présent sans porter de jugement sur son ressenti physique ou le contenu de ses pensées. Son application en tant que soin de santé est apparue dans les années 1970 avec le programme MBSR (Mindfulness Based Stress Reduction), un programme qui se déroule en groupe sur une durée de 8 semaines. Le MBSR a d’abord été développé pour réduire l’anxiété et les symptômes dépressifs dans la population clinique mais également chez des individus indemnes de pathologies. On suppose que c’est le meilleure régulation émotionnelle qu’elle entraîne qui est à la base de bon nombre des bienfaits de la méditation de la pleine conscience. La régulation émotionnelle correspond aux stratégies qui influencent la nature des émotions qui se produisent, quand et combien de temps elles se produisent, et comment ces émotions sont vécues et exprimées.

Dans notre programme de recherche, une population notoirement soumise au stress, composée d’internes en médecine et en chirurgie, va bénéficier d’un programme MBSR. Une mesure de la connectivité fonctionnelle intrinsèque est effectuée avant et après le programme MBSR. Nous supposons que la régulation émotionnelle, mesurée également avant et après le programme, est améliorée par le programme MBSR et que ces améliorations sont associées à des modifications du « réseau de mode par défaut », en particulier pour les régions cérébrales impliquées dans la régulation émotionnelle (cortex cingulaire antérieur, cortex frontal interne, amygdale). De plus, ces modifications de la connectivité cérébrale sont mises en relation avec différents états cognitifs et émotionnels (anxiété, épuisement professionnel, processus attentionnels, prise de décision, empathie) mesurés à l’aide de questionnaires et/ou d’épreuves psychométriques.

Un troisième objectif est de trouver un marqueur de l’aptitude à inférer les émotions d’autrui dans les « réseaux du repos »

L’être humain est éminemment social et la communication et les aptitudes à inférer les intentions d’autrui (théorie de l’esprit) sont particulièrement développées chez lui. Cette capacité à adopter le point de vue d’autrui est en constante interaction avec le système émotionnel et permet l’empathie et la compassion. A l’instar du fonctionnement cognitif, la capacité à discriminer les émotions chez autrui est variable d’un individu à l’autre, les bases neurales de la variabilité de cet aspect de l’intelligence émotionnelle restant largement méconnues.

En effet, les bases neurales de la variabilité de la capacité à reconnaître les émotions ont été peu explorées, alors que les compétences émotionnelles interagissent avec les aptitudes cognitives. Une expression particulièrement importante de cette forte proximité entre compétences émotionnelles et cognitives  se voit dans le fait que les réseaux neuraux de l’émotion et leurs modifications sont impliqués dans de nombreuses pathologies développementales (autisme) et psychiatriques (dépression, anxiété) également caractérisées par des troubles cognitifs.

Pour caractériser les relations entre la capacité à inférer les émotions et la connectivité fonctionnelle intrinsèque nous procédons à une caractérisation fine des compétences émotionnelles évaluée par le Geneva Emotion Recognition Test (GERT).

Ces compétences sont ensuite mises en relation avec la variabilité inter-individuelle des connections entre les « réseaux du repos ». Il est ainsi possible d’établir comment la connectivité des régions connues pour leur implication dans le comportement émotionnel varie en fonction de l’aptitude à reconnaître les émotions d’autrui.

Nous nous intéressons plus particulièrement à la connectivité des régions amygdaliennes, hippocampiques, insulaires et frontales médiales qui sont modifiées dans certaines pathologies psychiatriques telles que l’autisme et la schizophrénie. Nous étudions également comment leur connectivité est modulée par des états psychologiques tels que l’anxiété, la dépression, l’impulsivité, l’estime de soi…

Comprendre la naissance de la pensée symbolique

Début 2019, une vingtaine de publications scientifiques au monde concernait le nouveau champ d’étude qu’est la neuroarchéologie. Ce rapprochement disciplinaire entre la neuroimagerie et l’archéologie permet d’étudier le fonctionnement cérébral dans ses aspects évolutifs. Avec l’expertise d’une équipe d’archéologues du laboratoire PACEA (laboratoire “de la Préhistoire à l’Actuel : Culture, Environnement et Anthropologie”, UMR 5199) spécialisé dans l’étude de l’émergence des comportements et des productions symboliques au paléolithique, nous développons une approche totalement pionnière dans la compréhension de l’émergence de la pensée symbolique chez l’être humain.

Comment le cerveau traite les motifs abstraits produits par nos ancêtres ?

L’objectif est d’identifier les bases neurales des compétences cognitives nécessaires à la production et à la reconnaissance de représentations symboliques avec les techniques d’IRMf.

Les capacités intellectuelles de l’Homme moderne sont le fruit d’une évolution des fonctions cognitives qui ont permis l’apparition de comportements qui le distingue des autres espèces. Si l’on a longtemps considéré que cette évolution s’était faite de façon abrupte et relativement récente, de nombreux archéologues plaident aujourd’hui pour une origine beaucoup plus ancienne, qui a concerné des espèces humaines aujourd’hui disparues. C’est en particulier le cas de la pensée symbolique qui semble s’exprimer à travers la production de gravures abstraites dont les plus anciennes et les plus récemment découvertes datent de plusieurs centaines de milliers d’années. Des peintures rupestres à l’invention de l’écriture il y a 5000 ans, la production graphique, figurative ou symbolique, constitue un aspect majeur des capacités cognitives humaines. La découverte de gravures abstraites dont la production remonte à 500 000 ans suggère que cette activité a intéressé non seulement les premiers spécimens d’Homo sapiens mais également les hominines appartenant à d’autres espèces telles que Homo erectus et Homo neanderthalensis. Le projet de recherche « ArchéoNeuro » cherche à fournir un support neural à l’hypothèse proposée par des anthropologues que ces motifs abstraits marquent l’émergence de la production symbolique dans le répertoire comportemental des hominines.

Gravure sur ocre datant de 75 000 ans (grotte de Blombos, Afrique du Sud) © PACEA, CNRS

Une difficulté dans cette approche est qu’elle concerne des humains modernes qui ne sont pas familiers avec ces gravures, au contraire de nos ancêtres qui les ont produites. C’est pourquoi, dans une extension de ce travail, c’est la réponse cérébrale d’archéologues qui est recueillie pendant qu’ils perçoivent ces gravures. On établit ainsi les régions cérébrales impliquées dans la perception et la reconnaissance de ces traces par des experts.

Le corps culturalisé est-il perçu comme un objet symbolique ?

Qu’en est-il de la perception du corps culturalisé, c’est-à-dire du corps porteur de dispositifs de communication tels que des parures et des dessins. Pourrait-il être perçu comme un objet symbolique ? Au plan cérébral, les visages et les parties du corps sont traités par des régions visuelles spécialisées. Pour identifier le passage d’une « simple » perception anatomique à une perception symbolique et sociale, nous étudions en IRMf comment le traitement perceptif de peintures corporelles et d’objets de parure modifie les réseaux neuronaux liés à la reconnaissance des visages et des différentes parties corporelles.